Les Faussaires de l’Histoire, de M. Prazan

 

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Auteur : M. Prazan

Genre : Documentaire

Date : 2014

Sujet : Négationnisme

 

Les Faussaires de l’histoire est un documentaire réalisé par Michaël Prazan en 2014 ; il traite du négationnisme en France et dans le monde. Nous avons assisté à sa projection au lycée Branly le 1° octobre 2015, en présence du réalisateur, ce qui nous a permis d’échanger ensuite avec lui.

M. Prazan revient sur l’histoire d’une « escroquerie intellectuelle et antisémite » grâce aux archives, aux historiens et à différents témoignages, retraçant l’histoire du négationnisme de ses débuts (juste après la guerre) jusqu’à aujourd’hui (propos de J-M. Le Pen, Dieudonné,…).

Ce documentaire nous explique ce qu’est le négationnisme : c’est le fait de nier le génocide des juifs lors de la 2nde Guerre Mondiale.

 

  1. Le Négationnisme dans le Monde après la Guerre

Téhéran, 11 décembre 2006, plus de 60 négationnistes sont réunis lors d’une conférence […]. Parmi eux, on retrouve notamment le français Robert Faurisson. Le 28 décembre 2008, à Paris, Dieudonné invite ce même Faurisson sur scène pour lui remettre le «prix de l’insolence» par une personne qui porte des vêtements rappelant ceux des prisonniers juifs (chemise à rayures, étoile jaune). Faurisson et Dieudonné sont ensuite applaudis par toute la salle. Ainsi commence le documentaire de M. Prazan.

Soixante-dix ans après la libération des camps d’extermination nazis, un courant antisémite continue, en dépit des témoignages des survivants des camps, des manuscrits des hommes du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau, des preuves historiques, à nier la planification de l’extermination de près de six millions de Juifs en Europe par les nazis. Il s’agit du négationnisme, le fait de nier la Shoah, ce qui revient à « fausser l’histoire » selon l’expression de Robert Badinter. (NB : le terme négationnisme est fondé par l’historien Henry Rousso).

M. Prazan retrace dans son film l’histoire de cette « escroquerie intellectuelle et antisémite », remontant à ses racines.

En janvier 1945, l’armée rouge découvre le camp d’Auschwitz ; cette découverte est filmée. S’en suit le procès de Nuremberg (du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946) qui a pour but de juger quelques criminels nazis et hauts responsables de la solution finale. Pendant le procès, les responsables de la solution finale ne nient pas l’extermination ; la seule chose qu’ils rejettent est leur responsabilité individuelle dans ce plan (l’exemple dans le documentaire de M. Prazan est le procès de Rudolf Höss, qui reconnaît le génocide).

En 1948, l’écrivain Maurice Bardèche écrit « Nous vivons depuis 3 ans sur une falsification de l’histoire » ; ainsi, dès la fin de la guerre, des personnes commencent à remettre en cause la Shoah (NB : le terme Shoah, mot hébreu qui signifie « anéantissement, cataclysme, catastrophe, ruine, désolation », s’impose peu à peu en France au début des années 1990 pour désigner l’extermination des juifs d’Europe, après la sortie du film de Claude Lanzmann en 1985).

En 1958, Paul Rassinier émet les premiers doutes sur l’extermination des juifs, plus particulièrement sur la méthode employée (les chambres à gaz). Il fonde ses doutes sur son parcours : ancien déporté pour faits de résistance, il était prisonnier à Buchenwald ; or c’est un camp de concentration et non d’extermination, il n’y a donc pas de chambre à gaz. Mais Rassinier, en refusant de prendre en compte l’existence des autres camps, s’inscrit de fait dans le courant négationniste.

En avril 1961 se déroule le procès d’Eichmann à Jérusalem. 400 journalistes sont présents, le procès est entièrement filmé pour la télévision et pour la première fois, des anciens déportés juifs sont entendus en tant que juifs, ce qui ouvre la porte au début d’une reconnaissance de la spécificité du génocide juif. Grâce à ce procès, le monde prend conscience de la Shoah et de l’extermination des juifs, mais cela n’empêche pas le négationnisme de continuer à exister.

Plus tard, les idées négationnistes trouveront un écho dans d’autres pays, notamment dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Et dans les années 1970, le négationnisme se renforce ; en effet, la guerre et le génocide commencent à s’éloigner dans les mémoires. Un des pionniers de ce renforcement est l’anglais Richard Harwood, militant Britannique du National Front, qui fonde une maison d’édition grâce à laquelle il peut diffuser un pamphlet négationniste intitulé : « Six millions de morts, le sont-ils réellement ? ».

Ainsi, une partie du documentaire propose une présentation du négationnisme dans le monde ; mais qu’en est-il du négationnisme en France ? Le film de M. Prazan nous apporte un premier élément de réponse avec le discours tenu par Jean-Marie le Pen en 1987 sur la radio RTL : «Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé, je n’ai pas pu en voir (…), pas pu les étudier (…), mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la 2nde Guerre Mondiale ».

  1. Le négationnisme en France

En France, le négationnisme est apparu très rapidement après la fin de la seconde guerre mondiale, en 1948, avec Maurice Bardèche et Robert Faurisson.

Faurisson est un ancien professeur de lettres et, pour lui, « Hitler et les juifs se sont faits la guerre (…), il y a eu beaucoup de souffrances mais il y a les vraies et fausses souffrances. » Il ajoute : «On a gazé….des poux ! »

Pour contrer Faurisson, Ivan Levaï l’invite sur la radio Europe 1 le 17 Décembre 1980. Le documentaire de Prazan revient sur ce fait marquant dans l’histoire de la radio en donnant la parole au journaliste : celui-ci pensait avoir tous les arguments pour contrer ceux de Faurisson, mais il considère qu’il s’est trouvé en difficulté face à un discours totalement fermé sur lui-même. L’un des principaux arguments de Faurisson était que l’extermination des juifs était un énorme mensonge établi par l’état d’Israël et le sionisme international, théorie conspirationniste antisémite. Cette interview a été entendue par beaucoup de monde et cela a fait réagir. Primo Levi (ancien déporté) est lui aussi intervenu pour dénoncer la diffusion du négationnisme. Pour Jean-Yves Camus, politologue interviewé par M. Prazan, les négationnistes forment une secte ; au point que pour l’historien Pierre Vidal-Naquet il est impossible, voire dangereux de discuter avec eux.

Dans les années 1970, certaines personnes continuent à soutenir les négationnistes, comme Chomsky qui apporte son appui à Faurisson au titre de la « liberté d’expression ».

En 1980, le négationnisme s’attaque à de nouveaux points, et notamment à l’aspect technique de l’extermination (chambre à gaz, four, …).Or une grande partie des preuves a été détruite par les nazis à la fin de la guerre, ce qui permet ces remises en question et scandalise les anti-négationnistes. Mais cela n’empêche pas Faurisson, qui persiste dans son discours, de remettre en cause l’effet du Zyklon B : pour lui « on ne peut pas tuer autant de gens avec ce gaz ».

Pour étayer leurs propos, l’américain Fred Leuchter se rend même sur le site d’Auschwitz-Birkenau pour réaliser une étude dite « scientifique ». Tout cela se fait dans l’illégalité, il n’a aucun droit d’entrer et de prélever des échantillons, qui sont utilisés pour la défense du néo-nazi Zündel devant un tribunal Canadien. Par la suite, Leuchter fut poursuivi pour avoir abusé du titre d’ingénieur car il n’avait aucune connaissance et aucun diplôme scientifique.

Après s’être attaqués à l’aspect technique de la Shoah, les négationnistes accusent Israël d’avoir fabriqué « la plus grande manipulation de tous les temps ». Cette réorientation est due à une ancienne gloire du PCF (Parti Communiste Français) : Roger Garaudy, ancien résistant, philosophe, catholique converti à l’Islam. En 1982, dans le contexte de la guerre du Liban, Garaudy publie un « placard » dans les pages du journal le Monde, il assimile Israël au nazisme dans un paragraphe intitulé « L’argument de l’holocauste ».

Mais ce n’est qu’en 1996 que Garaudy révèle sa conversion au négationnisme dans son livre « Les Mythes Fondateurs de la Politique Israélienne ».

Garaudy reçoit le soutien de certains pays musulmans et notamment du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, qui diffuse par ailleurs les idées négationnistes en Amérique latine par l’intermédiaire de ses rencontres avec Hugo Chavez, président du Venezuela. Reçu en Iran en 2010, Dieudonné trouve lui aussi l’occasion de réaffirmer ses propos antisionistes.

Dans les années à venir, les derniers survivants de la Shoah disparaîtront, ce qui inquiète les historiens quant à l’avenir du négationnisme : certains craignent qu’il ne se renforce avec la disparition des derniers témoins.

LEGER Guillaume

Avis personnel :

J’ai trouvé ce documentaire très intéressant, bien structuré (M. Prazan adopte, pendant une partie du film, un ordre chronologique, de l’après guerre aux années 1980 ; il s’efforce tout au long de son travail d’éclairer les racines du discours négationniste). L’œuvre est par ailleurs bien complète grâce à des ressources variées (images d’archives, coupures de Presse, interviews d’historiens,…). Ce documentaire m’a au final permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur le sujet, qui est assez complexe et potentiellement sensible.

De plus, j’ai aimé le revoir en présence du réalisateur, ce qui m’a permis de lui poser les questions qui m’étaient venues à l’esprit lors du premier visionnage ; notamment d’éclairer les points restés pour moi obscurs.

Je pense que montrer ce documentaire à d’autres classes, et si possible demander à M.Prazan de revenir, pourrait être très enrichissant.

 

TRANSMETTRE A TRAVERS CE DOCUMENTAIRE

Ci-dessous, quelques éléments de réponse de M. Prazan à nos questions (par Léa Ducrocq Paul Leleu et Rémy Creton) :

1) Pourquoi avoir traité ce sujet ?

Au départ, Mr Prazan ne voulait pas réaliser ce film, souhaitant ne pas faire de publicité aux idées négationnistes et pensant que le négationnisme disparaissait. Mais deux éléments l’ont fait réagir :

-les propos antisémites de Dieudonné ;

-la montée sur scène de Robert Faurisson (une figure emblématique du négationnisme) lors d’un spectacle de Dieudonné, qui fut applaudie.

Mr Prazan a alors mesuré alors que le négationnisme n’avait pas disparu et pourrait très bien continuer à se propager.

Il évoque aussi sa volonté de transmettre la vérité.

 

2) Est-ce en raison du décès des anciens déportés, et donc par peur que le souvenir disparaisse avec eux, qu’il a réalisé ce documentaire ?

Avec la disparition des survivants du génocide, la mémoire de la Shoah risque de s’effacer. Le négationnisme pourrait s’installer plus facilement dans l’esprit des jeunes, qui ne seraient plus sensibilisés sur ce sujet.

 

3) Selon M.Prazan  : peut-on dialoguer avec les négationnistes?

Les négationnistes réfutent toutes les preuves historiques sur la Shoah sans même donner d’arguments soutenant leurs affirmations. Ainsi M. Prazan évoque le fait que le négationniste Robert Faurisson tient toujours le même discours, qu’il appelle lui-même « (s)a phrase de soixante mots » : « Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l’état d’Israël et le sionisme international, et dont les principales victimes sont le peuple allemand, mais non pas ses dirigeants, et le peuple palestinien tout entier.» (Propos prononcés par R. Faurisson lors de son procès l’opposant à R. Badinter). Cette phrase est utilisée dans chacune de ses interventions médiatiques pour affirmer son opinion : elle affirme, assène, sans place au dialogue.

De plus, Faurisson cherche à créer un buzz médiatique dans le seul but de se faire connaître, et ainsi satisfaire son désir de notoriété.

Les négationnistes cherchent par tous les moyens à avoir la parole. Il faut donc pour éviter que leurs pensées soient diffusées, ne pas leur en donner la possibilité.

4) Pourquoi être venu au lycée Branly ?

Mr Prazan est venu nous rencontrer pour connaître nos réactions à son documentaire, mais aussi pour répondre à nos questions ; il s’inquiète de la réception, par notre génération, du génocide des juifs ou du négationnisme.

Il n’est pas le seul à avoir cette inquiétude, nous l’avons aussi et restons inquiets sur le fait que des jeunes puissent adhérer à ces idées. Car avec les nouveaux médias (comme les sites internet où l’on peut partager ses idées beaucoup plus facilement), ces théories « faussaires » peuvent atteindre une partie de la population.

 

En complément : Lettre à M.PRAZAN

Bonjour monsieur,

Nous tenions à vous remercier pour votre intervention dans notre lycée. Cette rencontre nous a permis d’enrichir nos connaissances sur le négationnisme.

Elle a aussi soulevé des interrogations dans nos classes, qui ont fait place à des débats intéressants. Certains d’entre nous, en toute innocence, se sont questionnés sur la véracité de certains points évoqués dans votre documentaire. Par exemple, les propos des négationnistes ont semblé tellement inconcevables à quelques-uns qu’ils se sont demandé si ces derniers croyaient vraiment en ce qu’ils disaient. D’autres encore ont cherché à savoir si le zyklon B pouvait vraiment tuer des humains. C’est auprès des professeurs de notre établissement et de vous-même qu’ils ont trouvé des réponses à ces questions.

Grâce à cette rencontre nous avons mieux compris votre film et la raison pour laquelle nous nous devons de transmettre la mémoire de la Shoah.

Merci encore de votre venue,

Cordialement,

Les six compagnons participant au projet Auschwitz-Birkenau, Alice, Guillaume, Léa, Paul, Rémy, Simon.