Le Fils de Saul

Le Fils de Saul

Le Fils de Saul,

critique du film visionné au cinéma les Stars le 4 novembre 2015 (jour de sa sortie nationale en France)

 

Le résumé du film :

 

Saul Ausländer est un membre d’un Sonderkommando à Auschwitz II ( Birkenau) en 1944. Déporté juif, il est forcé d’assister les nazis dans leur processus d’extermination, chargé d’aider hommes, femmes et enfants à se déshabiller avant qu’ils ne rentrent dans la chambre à gaz, de sortir les corps après le gazage et de les transporter jusqu’au crématoire. Il enchaîne ces gestes répétitifs dans une cadence infernale, jusqu’à ce que survienne l’élément perturbateur du film : un jour, un enfant ne succombe pas immédiatement aux effets du Zyklon B ; il respire encore, faiblement ; il est examiné par un médecin puis assassiné par un nazi. Saul s’obstine alors par tous les moyens à offrir une sépulture à ce « fils », ce garçon dans lequel il semble avoir reconnu les traits de son propre garçon, au risque de faire échouer la révolte échafaudée par les Sonderkommandos.

 

Regard critique sur le film :

 

Le jeune réalisateur Hongrois László Nemes (c’est son premier long métrage) utilise dans son film différents procédés afin d’instaurer une ambiance très particulière et de proposer au spectateur une plongée presque sensorielle dans l’univers des Sonderkommandos. Son pari est risqué : comment prétendre reconstituer l’indicible ? Mais il évite les écueils dans lesquels d’autres avant lui sont tombés (ainsi nous avons étudié, pour préparer la projection, des extraits de La Liste de Schindler de Spielberg par exemple).

 

Le son :

La bande-son est essentielle : sur de courts passages, elle est constituée d’une musique d’orchestre qui exprime une fatalité ; les autres sons produisent une impression de chaos : voix, cris, sirènes, ordres hurlés en allemand et bruits d’usines. Ces derniers semblent constitués de cliquetis métalliques, de bruits de machines qui font immédiatement penser à une activité industrielle, pour qualifier le processus d’extermination.

Les différentes langues perçues dans les scènes de rassemblements des prisonniers rappellent qu’une grande partie des peuples d’Europe sont touchés par le génocide. La plupart de ces langues ne sont pas sous-titrées et le spectateur perçoit un brouhaha permanent ; le camp est une Babel. Cela renforce la solitude de Saul.

 

L’image :

La caméra épaule le suit constamment sans jamais montrer directement son environnement. Ce procédé permet de ne pas exhiber les corps : on ne fait que les apercevoir car le choix d’une focale longue produit un flou sur ce qui se situe à l’arrière plan. Il contribue à une certaine pudeur dans le film. Le réalisateur ne tombe pas dans le piège de montrer l’horreur absolue, on la devine. Cette vision constamment tronquée du décor lui permet de ne pas prétendre à la reconstitution exacte de la réalité, impossible, tout en plongeant le spectateur dans le quotidien des Sonderkommandos, comme en immersion.

De ce fait, seul le visage du protagoniste apparaît nettement à l’écran ; néanmoins le visage de Saul est souvent inexpressif. Cela donne le sentiment d’un personnage détaché de la réalité, qui cherche à se protéger de la folie.

Ces effets sont accentués par les mouvements de caméra qui suivent les mouvements du personnage, vifs, souvent répétitifs. Saul nous fait penser à un ouvrier exténué par son travail. Le spectateur prend ainsi conscience que les nazis ont mis en place une rationalisation de la mort. Quant aux couleurs, elles sont ternes, grisâtres, froides. La photographie est une réussite du film grâce au travail du chef opérateur. Les conditions extrêmes de l’hiver en Pologne sont retranscrites et accentuent les contraintes que subissent les Sonderkommandos. Les couleurs sont contrastées dans certaines scènes : elles deviennent rougeoyantes associées à des tons sombres. Elles traduisent alors l’enfer dans lequel se trouvent ces hommes.

 

Dans ce film, le réalisateur cherche à mettre en place une ambiance pesante, s’apparentant à un environnement industriel et harassant, tout en ne prétendant pas reconstituer la réalité. Les hommes qui ont subi le génocide sont représentés par un homme, Saul, dérouté et à la limite de la folie. Un film à voir sans attendre !

Paul Leleu.

La bande-annonce du film ici :

http://youtu.be/Ayg4_cPWoLE